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Le parc Gérard Christophe.
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Trouble d’un après-midi tranquille
Le 12 janvier 2010, quand la croûte de la terre se convulse à Léogâne et dans ses environs port-au-princien, jacmélien, goâvien, quelques joueurs s’entraînent sur le terrain du Parc Gérard Christophe et, comme à l’accoutumée, sur la petite tribune de 700 places, une poignée de jeunes rêvassent d’être spectateurs d’un grand Cavaly-Valencia, tandis que deux autres se font les muscles des jambes par la montée et descente des gradins. Quelques vieux messieurs s’adossent au grillage de protection du terrain de jeu. Ils refont leur monde, le réduisant à l’instant présent d’un bonheur simple de témoin d’une banalité routinière d’un frais après-midi de janvier à enjoliver au hasard des rencontres vespérales ou du lendemain auroral autour du café fumant de Sò Eliane ou Madan Michel.
De causerie du soir, de lendemain prometteur, il n’y en eut point. Au contraire, une nuit interminable de cris de torturé, de familles déchirées, de corps déchiquetés, de râles, de mises en terre sans cérémonie, de maisons aplaties, d’errances hébétées, d’abris qui sentent du neuf et bientôt puants par les effets de la promiscuité…
Sur le coup, les occupants du Parc Gérard Christophe ne peuvent y penser. S’étant tâté le corps, ils se rendent bien compte être sains et saufs, au contraire de la clôture sur ses façades nord, est et sud. Une partie de la façade ouest se penche comme pour saluer les futurs passants, l’autre partie se repose au sol. La tribune a résisté alors que « Ronald l’a vu « fluer et refluer comme la vague de mer vers le terrain et vers la clôture des Frères » voisine de 16 mètres. Avant de retrouver sa planéité, durant les 35 secondes d’une colère inouïe, le terrain de jeu lui-même s’est plissé « comme un jardin en butte », se rappelle Harold Milord, ancien joueur du Cavaly de Léogâne, actuel international du Victory.
L’Invasion
Sans remparts, l’aire de jeu et l’espace spectateurs servent tout de suite de refuge. On s’y installe comme les compagnons de Christophe Colomb, sauf qu’il n’y a pas d’Amérindiens à tuer. Les dirigeants des deux clubs de la ville se résignent, le bon peuple du football reconnaît l’urgence humanitaire. Les uns et les autres ressentent dans leurs corps comme des coups de bistouris sans anesthésie les coups de pioche sur le terrain de jeu. Un lotissement par 12 m carrés, par 16 m carrés, les plus audacieux s’étendent davantage. Bientôt, des carreaux de céramique sont posés. Du petit détail se vend. Des eaux usées dorment. Les yeux et les narines découvrent qu’un immense cloaque se substitue au Parc Gérard Christophe, témoin de tant de sacrifices, d’émotions diverses, point de ralliement et de discorde, donc d’identité collective.
Deux ans après, les occupants sont partis, les uns d’eux-mêmes, comprenant enfin que « le Blanc n’offrira pas de maisons », les autres sous la pression de groupes de jeunes non identifiés. Le constat est là : la ville de Léogâne, martyre des cyclones Hazel (1953),Flora (1963), Inez (1966), maintenant du tremblement de terre du 12 janvier 2010, une fois de plus n’a pas de terrain de football. Le Cavaly et le Valencia, pour ne pas mourir, se réfugient sur des terrains de fortune. Ils y sont encore. « Je suis conscient que les travaux à faire sont importants et qu’on ne pourra pas utiliser le terrain avant la fin de l’année. L’attente sera d’autant plus longue que je n’imagine aucune rénovation sans la mise en place de nouvelles tribunes et de sanitaires qui faciliteront l’accueil des spectateurs, analyse Philippe Beaulière, président du Cavaly. Son alter ego du Valencia, Guston Jean-Louis, est préoccupé par la situation à un double titre : « homme de développement, une telle perte affecte considérablement la communauté, ensuite le dirigeant de football que je suis voit les poches de ses confrères et collaborateurs se vider plus que d’ordinaire à cause de la diminution des recettes de l’ordre de plus de 50% », se plaint Guston Jean-Louis.
Longue agonie d’un premier séisme
Cet équipement construit en 10 mois, de septembre 1975 à juin 1976, baptisé comme cela se devait « Parc Jean-Claude Duvalier », est inauguré le 11 juillet 1976 par un match amical Ligue de Léogâne-Racing Club Haïtien (1-1). Il abrite les championnats locaux de toutes sortes, les matchs des deux clubs phares de la ville, ceux d’Anacaona, le club féminin... Les entraînements quotidiens s’y tiennent aussi : spectacle irréel de quatre, voire cinq équipes se partageant la surface de jeu. La rosée du matin mouille aussi les chaussures de sport des amateurs de course en aérobie, jeunes et quadragénaires.
À ce rythme, la couche arable soigneusementmise en place s’érode dès la fin des années 80. Quand 12 janvier surprend le terrain, la première couche de roches de son drainage grimaçait dans toute sa splendeur. De pelouse, il ne restait que quelques souches du chiendent têtu, mais jauni et rabougri, incapable de témoigner de leur verdure d’antan : un premier séisme. En fait, 12 janvier 2010 a précipité un sort qui semblait vouloir agoniser sans fin.
Car en plus de l’état lamentable du terrain, les vestiaires n’existaient plus, aucune installation sanitaire n’était réservée au public debout autour du grillage, et seulement deux toilettes, comme en trouve dans une maison, desservaient les 400 à 700 personnes qui garnissaient la petite tribune les jours de match. Cœurs et estomacs sensibles, ne devinez pas leur sort.
Et l’avenir ?
Le souhait de Beaulière et Jean-Louis, président des deux clubs phares léogânais ne risque pas semble-t-il de se concrétiser dans un court délai. Ils se sont déjà entendu dire par le président de la FHF, Dr Yves Jean-Bart, que la FIFA est prête à faire un geste. Mais ça dure deux ans. Pour le Parc, à la faveur de la chute de JC Duvalier en 1986, devenu Gérard Christophe du nom d’un ancien arrière central et animateur de football passionné des années 1950, l’aménagement récent par le gouvernement du Parc Saint Jean,cousin et voisin à Gressier, ne semble pas une bonne nouvelle. Les Léogânais interrogés à ce sujet craignent en effet que les gestionnaires des fonds publics ne se disent devoir toucher des communautés éparses afin de ne pas laisser l’impression de concentrer les maigres richesses sur Léogâne. Déjà, en 1963 et 1966, après Inez et Flora, plusieurs années s’étaient écoulées avant que la société léoganaise ne trouve les moyens de remplacer les palmes de cocotier par de la maçonnerie bien ferme comme clôture. C’était en 1972. Mais il en faut davantage aujourd’hui.
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