La majorité constituée à la va-vite au Sénat pour venger la brève incarcération du député Arnel Bélizaire s'est évaporée, dans la soirée du 7 novembre marquée par la convocation du Conseil supérieur de la police nationale (CSPN). Sur proposition du sénateur Andris Riché (OPL), une commission spéciale, au grand dam de certains des interpellateurs, a été constituée, tard dans la soirée du samedi, pour élucider les zones d'ombre et établir les responsabilités de chaque acteur dans l'arrestation du député de Delmas/Tabarre considéré comme un évadé de prison par Me Félix Léger, chef a.i. du parquet de Port-au-Prince.
Composée de François Anick Joseph (Alternative), John Joël Joseph (INITE), Andris Riché, Jean William Jeanty (ex-KOMBA) et de Dieuseul Deras Simon (Lavni), cette commission doit présenter son rapport à l'Assemblée le 15 novembre 2011, date retenue pour la reprise de la séance. Une deuxième commission composée de Steven Benoît (Alternative), Jocelerme Privert (INITE) et Wencesclass Lambert (INITE) est chargée, pour sa part, de procéder à une révision de l'exposé des motifs de l'interpellation du ministre de la Justice, Josué Pierre-Louis, et du Secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, Michel Brunache.
Mécontents de l'attitude de leurs collègues « qui chercheraient à empêcher le renvoi des deux membres du gouvernement interpellés », les sénateurs Moïse Jean-Charles (INITE), Jean-Baptiste Bien-Aimé (INITE), Fritz Carlos Lebon (INITE) et Nènèl Cassy (PLB) ont abandonné la salle de séance en signe de protestation.
Avant même de décider de ne pas se prononcer sur le cas de Josué Pierre-Louis et de Michel Brunache, les sénateurs avaient interrogé, pendant près de sept heures, les membres du CSPN - sauf le ministre de la Justice - sur l'arrestation arbitraire du député Arnel Bélizaire. La rencontre, qui a pris par moments l'allure d'un interrogatoire, n'a pas permis aux sénateurs de savoir grand-chose sur cette affaire éclipsant depuis deux semaines les débats sur les grands problèmes du pays, dont la résurrection des Forces armées d'Haïti dissoutes par Jean-Bertrand Aristide à son retour d'exil en 1994.
La séance a au moins permis aux parlementaires et à la nation de confirmer que c'est le ministre de la Justice, Josué Pierre-Louis, qui a ordonné aux policiers d'emmener le député Arnel Bélizaire au pénitencier national. Qui a ordonné au commissaire Félix Léger d'arrêter le parlementaire ? Où et quand a eu lieu la réunion autour de son arrestation ? Le Premier ministre Garry Conille, le ministre de l'Intérieur, des Collectivitées territoriales et de la Défense nationale, Thierry Mayard-Paul, et le secrétaire d'Etat à la Sécurité publique, Réginald Delva, ne se sont pas entièrement prêtés au jeu de questions-réponses des parlementaires.
Si le chef du gouvernement, Garry Conille, a publiquement reconnu qu'il y a eu des dérives dans l'arrestation du député de Delmas/Tabarre, Thierry Mayard Paul s'est, pour sa part, gardé de tout commentaire. Chose certaine, l'ordre de transfert du prévenu parlementaire a été émis par le ministre de la Justice, a révélé Mario Andresol, directeur général de la police nationale d'Haïti.
Le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Félix Léger, n'était pas présent au Sénat comme le souhaitaient certains sénateurs. Les membres du CSPN ont nié toute responsabilité dans l'arrestation du député. « En vertu du principe de la séparation des pouvoirs, le président de la République ne pourrait pas ordonner l'arrestation d'Arnel Bélizaire », a répondu Thierry Mayard Paul à une question de Steven Benoit. « Comme Félix Léger n'est pas présent, on veut lui faire porter toute la responsabilité dans cette affaire », a rétorqué le sénateur de l'Ouest.
Après sept heures d'interrogatoire parfois musclée, le chef de l'institution policière a finalement livré le ministre de la Justice et de Sécurité publique, Josué Pierre-Louis. L'ordre d'amener le député Bélizaire venait du ministre de la Justice, a révélé Mario Andrésol, presque à la fin de la séance de convocation du CSPN. Jusque-là, l'affaire n'a pas été éclaircie par aucun membre du CSPN.
Le ministre Pierre-Louis, écarté de la séance de convocation du CSPN était resté confiné pendant plusieurs heures au salon diplomatique du Sénat de la République. La séance d'interpellation du ministre Pierre-Louis annoncée pour 14 heures a débuté finalement peu après 19 heures, sans la participation du concerné. Josué Pierre-Louis évite ainsi la motion de censure qui paraissait évidente après la révélation du chef de la police nationale. Le ministre, dont la compétence a été vantée par les sénateurs, devra attendre le rapport de la commission spéciale avant de revenir à l'avenue Marie-Jeanne.
Le chef du gouvernement, pour sa part, a mis en avant une commission d'enquête qu'il a créée pour contourner les multiples questions agitées par les sénateurs. Le ministre Mayard-Paul, indexé dans la brève incarcération du député Bélizaire, a justifié sa présence à l'aéroport international Toussaint Louverture par le voyage de son épouse le jour même.
Le mandat émis par le commissaire du gouvernement, Félix Léger, a été exécuté par la Direction centrale de la police judiciaire, a indiqué Mario Andrésol.
L'accès au salon diplomatique de l'aéroport, a-t-il ajouté, n'a pas été interdit aux parlementaires. Les manifestants à proximité des citernes d'essence, a expliqué Andrésol, constituaient une menace pour la sécurité de l'aéroport. Un autre couloir a été ouvert aux députés et sénateurs désireux d'y prendre place. Le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, Michel Brunache, est aussi concerné par la séance d'interpellation.
La séance de convocation ne s'arrêtait pas aux seuls membres du CSPN. Le remuant sénateur Moïse Jean-Charles s'était prononcé en faveur de la mise en accusation du président Michel Joseph Martelly qui avait promis de traquer les repris de justice et évadés de prison réfugiés au Parlement. Le président Martelly constitue un « danger pour Haïti et le continent américain », a déclaré le plus redoutable opposant au chef de l'Etat au Parlement. Faute de solidarité de ses collègues, l'ex-maire de Milot est rentré chez lui l'air dégouté.
Jean-Pharès Jérôme et Claude Gilles
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