Arrière-arrière-petit-fils d'un général caco, fils d'un ancien sergent, Rodolphe Joazile suit ses parents dans les garnisons jusqu'au démantèlement des Forces armées d'Haïti en 1994. Suite aux funérailles de la défunte armée chantées par un prêtre défroqué, l'ex-capitaine a intégré la Police nationale avant d'entamer une carrière politique qui l'a conduit à la présidence du Sénat. Portrait d'un militaire qui ne se laisse pas désarmer.
Jeans délavé, maillot rayé, gardes du corps laissés au repos dans le véhicule tout comme ses lunettes... Jean Rodolphe Joazile prend siège tout de go dans les jardins du restaurant qu'il a choisi dans les hauteurs de Pétion-Ville pour raconter sa vie au plus ancien quotidien d'Haïti. Pour avoir bourlingué avec ses parents dans le Nord-Est dans les services militaires et policiers, l'homme, de petit gabarit (1m72), n'a pas envie de s'identifier au seul village de Ferrier où il est né le 15 septembre 1962. Jeanette Auguste, qui n'a pas eu accès à un centre de santé comme des centaines de milliers de femmes rurales, a recouru à une sage-femme pour donner naissance à celui qui deviendra, 49 ans plus tard, président de l'Assemblée nationale. Son nombril enterré sous un calebassier avec tout le rituel que cela nécessite, l'enfant au double prénom a été emmené cinq jours après sa naissance à Fort-Liberté où habitait déjà sa mère.
Fils de St-Julien Joazile, tour à tour sergent dans les Forces armées d'Haïti, directeur de la Régie du tabac de Fort-Liberté, greffier à la cour d'appel de Hinche et technicien en télécommunications, Jean Rodolphe a connu une enfance avec des hauts et des bas. « Comme toutes les familles haïtiennes de la classe moyenne », précise-t-il. Installé dans le chef-lieu du Nord-Est, il a été inscrit chez Claudion Charles-Pierre, l'institutrice surnommée affectueusement « Man Dion » par les habitants de la ville. Après son kindergarten, il est admis chez les soeurs de Fort-Liberté jusqu'à la fin de ses études primaires en 1974. Le jeune fils de Jeanette a fait ses études secondaires au lycée de Fort-Liberté jusqu'à juin 1979. La même année, il met le cap sur Port-au-Prince pour obtenir ses bacc I et II, respectivement au lycée Alexandre Pétion et au collège Lucien Hibbert.
Brillant, il concurrença au collège un certain Sauveur Pierre-Étienne, l'actuel coordonnateur général de l'Organisation du peuple en lutte (OPL). « Nous occupions les premières places dans la classe », se souvient Jean Rodolphe Joazile. Les deux hommes, aujourd'hui au-devant de la scène politique, sont restés de bons amis, même s'ils ne militent pas, du moins pas encore, dans une même structure politique. Très calé en mathématiques, physique et chimie, Joazile enseignait au collège Euclide, alors qu'il n'avait pas encore bouclé ses études secondaires. Même au lycée Alexandre Pétion, il aida ses condisciples à combler de sérieuses lacunes.
Militaire de père en fils
Arrière-arrière-petit-fils de Mathieu Fils-Aimé, général caco - guérilla rurale opposée à l'occupation américaine - et fils d'un ex-sergent des Forces armées d'Haïti, Joazile Jean Rodolphe s'inscrit à l'académie militaire, le 4 octobre 1982. Diplômé le 21 septembre 1984, il a reçu une bourse pour un cours en infanterie en Georgie, aux États-Unis. De retour au pays le 21 août 1985, il obtient son premier poste dans les Forces armées d'Haïti comme commandant du sous-district des Cayes. Trois mois après, on a enregistré les premières grandes turbulences politiques qui ont conduit à la chute de la dynastie des Duvalier. « Quand j'ai entendu les manifestants crier A bas Jean-Claude Duvalier, ce fut un choc pour moi, avoue Joazile. A l'académie militaire, on m'enseignait la doctrine Duvaliériste, président à vie. »
D'une doctrine à une autre, le jeune officier se laissa convaincre par un prêtre catholique dont il s'est gardé de révéler le nom. Le prêtre m'a demandé de passer des instructions aux soldats cantonnés aux casernes de la ville pour protéger les manifestants. « Le religieux a échangé avec moi et m'a harangué pendant près de deux heures », a expliqué le sénateur du Nord-Est. La première grosse manifestation, se souvient-t-il, a eu lieu aux Cayes le 30 janvier 1986. « La ville était à feu et à sang et j'ai tout fait pour empêcher des pertes en vies humaines », s'est réjoui l'ex-officier.
Le coup de Joazile
Le colonel Gambetta Hyppolite, commandant du département du Sud, était dépassé par les événements, raconte Joazile, qui a alors frappé un grand coup pour empêcher le bain de sang que redoutait le prêtre. « En tant que commandant du sous-district, j'ai convoqué tous les Volontaires de la sécurité nationale (VSN), milice de Duvalier, à la caserne. Avec la complicité du sergent Desombrage Ambroise, ancien trompettiste du Méridional des Cayes, j'ai désarmé tous les miliciens. Ces derniers étaient consignés à la caserne, raconte Jean-Rodolphe Joazile. Le général Wiltan Lhérisson m'a appelé et j'ai expliqué que c'était pour éviter un massacre dans la ville.» La décision a été acceptée par l'état-major préoccupé par la série de manifestations dans certaines grandes villes du pays. Gonaïves, d'où est partie la fronde anti-Duvalier, pleurait depuis plusieurs mois la mort de trois élèves-martyrs.
30 janvier 1986, Jean-Claude Duvalier, encore président à vie, confie une importante mission à l'ancien boursier de Georgie. « Il m'a personnellement appelé pour sauver la vie de maître Jean Cassion, commissaire du gouvernement, préfet et président du parti de Duvalier aux Cayes, a encore révélé le sénateur Joazile. J'ai été chercher Me Cassion, sa femme et son bébé à l'époque depuis leur cachette pour les mettre hors de danger. » Le lendemain, un avion atterrissait dans la ville pour transporter la famille à Port-au-Prince. Signe que le régime touchait à sa fin. Sept jours plus tard, Baby-Doc est effectivement tombé de son piédestal, après 15 ans de règne d'un pouvoir hérité de son père, François Duvalier, roi de la censure.
« Officier subversif »
La vague de « dechoukaj » n'ébranlait pas le jeune officier, qui développa une relation de proximité avec la population des Cayes. Quand les portes de toutes les écoles du pays restaient fermées, il travaillait avec les élèves. Un geste qui lui a valu l'estime des intellectuels des Cayes.
Rancunière, la population des Cayes exigeait le transfert du colonel Gambetta Hyppolite et du capitaine Renaud Saimbert. La junte militaire qui a succédé à Jean-Claude Duvalier obéissait allégrement aux « ordres » des manifestants en transférant le commandant départemental à Jacmel et le capitaine Saimbert à Port-de-Paix. « Il n'y a eu aucune manifestation contre moi », s'est réjoui Joazile, qui est resté aux Cayes jusqu'à son transfert au corps des Léopards dont il rêvait. L'aventure est de courte durée. Un vent de révolution traverse l'institution militaire dès 1987, l'année de la publication de l'ouvrage « Une armée pour la démocratie en Haïti », sous la plume de Gérard Dalvius, un ancien major. De jeunes officiers comme lui ont eu accès à Jeune Afrique, le journal africain qui faisait écho des percées militaires les unes plus barbares que les autres dans le continent. Le 15 octobre de la même année, des armes crépitaient au Conseil de l'entente de Burkina Faso. Le capitaine Thomas Sankara était immédiatement fauché par arme automatique. Aucun de ses gardes ni conseillers ne sera épargné par le groupe de soldats para-commando qui a pris d'assaut le conseil de l'entente à Ouagadougou.
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